Un industriel russe a constitué au début du vingtième siècle une importante collection de tableaux de peintres modernes, parmi lesquels figuraient des oeuvres de Henri A. Par décret du 29 octobre 1918, Lénine a proclamé cette collection propriété publique de la République socialiste fédérative de Russie. Le collectionneur, qui s’était réfugié en France à partir de 1919, est décédé le 22 juillet 1921. Son arrière-petit-fils a assigné les héritiers de Henri A. pour obtenir la restitution, dans la limite de la prescription de trente ans, des droits de reproduction dont il se prétend titulaire, afférents à six oeuvres du peintre acquises antérieurement à la publication de la loi du 9 avril 1910 relative à la protection du droit des auteurs en matière de reproduction des oeuvres d’art.
La cour d’appel de Paris a rejeté les fins de non-recevoir des héritiers du peintre et dit que les droits de reproduction afférents à deux des tableaux collectés par ses héritiers depuis le 30 août 1972, soit moins de trente ans avant l’assignation, devaient revenir à son arrière-petit-fils. Elle a condamné les héritiers à restituer à ce dernier les droits de reproduction qui leur étaient échus depuis cette date.
Dans un arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation rejette leur pourvoi.
Elle rappelle d’abord que le Conseil constitutionnel a, par décision du 21 novembre 2014, déclaré conforme à la Constitution l’article 1er de la loi décrétée le 19 juillet 1793 relative aux droits de propriété des auteurs d’écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et dessinateurs, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 mars 1902 étendant aux oeuvres de sculpture l’application de cette loi.
Elle relève ensuite qu’après avoir constaté que l’arrière-petit-fils du peintre rapportait la preuve de ce que les oeuvres litigieuses avaient été acquises avant le 11 avril 1910, date de publication de la loi du 9 avril, les juges du fond ont énoncé à bon droit qu’en vertu de l’article 1er de la loi décrétée le 19 juillet 1793, applicable en la cause, la vente d’un tableau faite sans réserve emporte celle du droit de le reproduire, de sorte qu’il incombe aux héritiers de justifier qu’une telle réserve a été émise par le peintre et est entrée dans le champ contractuel. Les juges ont souverainement estimé qu’il n’était pas établi qu’à l’occasion des ventes conclues directement entre le collectionneur et l’artiste, celui-ci se fût expressément réservé le droit exclusif de reproduction de ses uvres. Ils en ont exactement déduit, sans méconnaître l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que les droits de reproduction sur les deux tableaux litigieux étaient réputés avoir été transmis au collectionneur.
La Haute juridiction judiciaire relève enfin que la cour d’appel s’est prononcée en droit sur les conséquences du décret de nationalisation de 1918 en retenant que l’Etat russe, en saisissant sans indemnité les deux tableaux litigieux, ne s’était pas approprié les droits de reproduction sur ces oeuvres hors les limites de son territoire, ce dont il résultait que le collectionneur était resté titulaire de ces droits et avait pu les transmettre à son épouse, instituée légataire universelle par testament du 18 avril 1921.