Le 12 février 2016, la Cour dappel de Paris a confirmé une Ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris du 5 mars 2015 par laquelle celui- ci déclarait abusive la clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes prévue dans les conditions générales du contrat Facebook et reconnaissait par conséquent sa propre compétence.
Tout commence en février 2011 Prétextant une violation des « Standards de la Communauté Facebook » qui simposent à tous les utilisateurs du réseau social et qui prévoient notamment, quen ce qui concerne la nudité, « Facebook interdit la publication de contenus pornographiques ( ) » et impose « des limites à laffichage de certaines parties du corps », Facebook désactivait le compte dun enseignant parisien qui avait posté sur sa page la reproduction de luvre de Gustave Courbet Lorigine du monde représentant un sexe féminin.
Désabusé, lutilisateur assignait Facebook Inc, entité américaine, devant le Tribunal de grande instance de Paris en vue du rétablissement de son compte et lobtention de dommages-intérêts en réparation du préjudice quil estimait avoir subi.
Facebook sopposant à une telle demande invoquait un incident dincompétence en se prévalant de larticle 15 de ses conditions générales donnant compétence exclusive aux juridictions de Californie.
Le 5 mars 2015, le Tribunal de grande instance de Paris rejetait cet incident en déclarant que la clause 15 était abusive et, de ce fait, devait être réputée non écrite.
Le 12 février 2016, la Cour dappel de Paris, saisie après lappel interjeté par Facebook, confirmait la position de la juridiction de première instance.
La motivation de la Cour, limpide, suit un raisonnement didactique par lequel elle cherche en premier lieu à établir lexistence dun contrat de consommation entre Facebook et lutilisateur (I) avant de constater que la clause de compétence est abusive et que les juridictions parisiennes sont bel et bien compétentes (II).
(I) Afin de se prévaloir les stipulations de larticle 15 de ses conditions générales, Facebook sopposait à ce que le contrat qui la liait à son utilisateur puisse être qualifié de contrat de consommation en mettant en avant une gratuité de ses services. Cette supposée gratuité de Facebook est bien connue de ses utilisateurs qui, dès la page dinscription au réseau, voient apparaître le slogan « Cest gratuit (et ça le restera toujours) » sur leur écran. Certes, ladhésion peut seffectuer sans bourse délier, mais les réseaux ne doivent pas tromper leurs utilisateurs car les données confiées au réseau constituent une contrepartie sanalysant en une rémunération valorisable économiquement pour le fournisseur. La Cour a donc logiquement rejeté cet argument en déclarant que si le service proposé est gratuit pour lutilisateur, Facebook retire des bénéfices importants de lexploitation de son activité, via notamment les applications payantes, les ressources publicitaires et autres.
Quant à lutilisateur, la Cour remarque que son compte ne lui servait pas en vue dune activité de photographe, que son seul métier était bien celui denseignant et que le contrat souscrit était donc un contrat de consommation.
(II) Comme lavait fait le Tribunal de grande instance avant elle, face à un contrat de consommation, la Cour dappel démontrait alors que la clause attributive de compétence était tout simplement abusive et devait ainsi être réputée non écrite.
Pour ce faire, elle se référait à larticle L. 132-1 du Code de la consommation définissant les clauses abusives comme celles qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Larticle R. 132-2 du même code présume que des clauses supprimant ou entravant lexercice dactions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction darbitrage ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges sont des clauses abusives.
Dans ces conditions, la Cour dappel a observé que la clause oblige le souscripteur, en cas de conflit, à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec lenjeu économique du contrat et a rappelé les difficultés pratiques et le coût daccès aux juridictions californiennes qui sont de nature à dissuader le consommateur dexercer toute action et le priver de tout recours à lencontre de Facebook. Ainsi, elle a jugé la clause abusive.
De là, la Cour, par une application conjointe des articles 15 et 16 du Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et lexécution des décisions en matière civile et commerciale (spécifiques aux contrats conclus par les consommateurs), a pu considérer que le consommateur, domicilié à Paris, était en droit de saisir les juridictions parisiennes.
Cette décision intervient dans un contexte particulier pour Facebook dès lors que, le 8 février 2016, la CNIL mettait publiquement Facebook en demeure de se conformer, dans un délai de trois mois, à la Loi Informatique et Libertés et que, le 9 février 2016, la DGCCRF lenjoignait de supprimer ou de modifier les clauses contractuelles considérées comme interdites à légard des utilisateurs non-professionnels du réseau social.
Létau se resserre donc autour de Facebook pour une mise en conformité de ses conditions générales aux règles nationales.
Au-delà, lensemble des acteurs du numérique semblent visé Le réseau LinkedIn ne prévoit-il pas dans ses conditions générales la compétence exclusive des tribunaux fédéraux et étatiques du Comté de Santa Clara en Californie et le réseau Twitter celle des juridictions du Comté de Francisco ?
Emmanuelle Faivre, Counsel au sein du cabinet ReedSmith