Un fromage à tartiner, le Heksenkaas, a été créé par un marchand de produit frais néerlandais en 2007. En 2011, les droits de propriété intellectuelle ont été cédés à la société A. Un brevet a été déposé pour la méthode de production du fromage et la marque verbale « Heksenkaas » a été déposée mi-2010.
Cependant, la société B. a fabriqué, en 2014, un produit similaire pour une chaîne de supermarchés aux Pays-Bas, le Witte Wievenkaas.
Estimant que la production et la vente de ce produit portait atteinte à ses droits dauteur sur la saveur de son fromage, la société A. a assigné la société B. devant un tribunal des Pays-Bas. Elle revendiquait ainsi que la saveur du Heksenkaas constituait une création intellectuelle propre à son fabricant et bénéficiait, dès lors, de la protection au titre du droit dauteur en qualité duvre et que la saveur du Heksenkaas constituait une reproduction de cette uvre.
Une cour dappel des Pays-Bas a alors adressé une question préjudicielle à la Cour de justice de lUnion européenne (CJUE) afin que celle-ci détermine si le droit de lUnion soppose à ce que la saveur dun produit alimentaire, en tant que création intellectuelle propre à son auteur, soit protégée au titre du droit dauteur.
Dans ses conclusions générales rendues le 25 juillet 2018, lavocat général près la CJUE Melchior Wathelet propose de répondre que le droit de lUnion soppose à ce que la saveur dun produit alimentaire soit protégée par le droit dauteur.
Il considère tout dabord que si une uvre, pour être protégée, doit être originale, cela ne signifie pas que tout objet satisfaisant à ce critère doit être automatiquement considéré comme une uvre protégée par le droit dauteur au sens de la directive 2001/29.
Sur la définition duvre, lavocat général se reporte à la Convention de Berne qui ne considère pas les saveurs comme des uvres et qui ne fait référence quaux uvres qui sont perçues par des moyens visuels ou sonores. De plus, le droit international sest adapté à lévolution de la conception des uvres en prenant des dispositions pour les bases de données, par exemple. Or, aucune disposition du droit international ne concerne les saveurs.
Il souligne ensuite que la protection par le droit dauteur concerne les expressions originales et non les idées, les procédures ou les méthodes de fonctionnement. Ainsi, même si la forme dune recette peut être protégée si elle est originale, le droit dauteur ne protège pas la recette en tant que telle, lidée.
Il indique quen létat actuel de la technique, lidentification précise et objective dune saveur ou dune odeur est impossible. Le gouvernement italien avait par exemple précisé que « pour l’instant, la saveur est essentiellement un élément qualitatif, lié au premier chef au caractère subjectif de lexpérience gustative ». Ainsi, confier lidentification dune saveur à un juge ou à un expert resterait un exercice subjectif.
Lavocat général ajoute que le fait que les saveurs soient éphémères, volatiles et instables empêche leur identification précise et objective et par conséquent leur qualification en tant quuvres aux fins du droit dauteur.
Par conséquent, lavocat général conclut que la saveur dun produit alimentaire ne constitue pas une uvre au sens de la directive 2001/29 et ne peut donc pas bénéficier des droits conférés par le droit dauteur.