CJUE : l’interdiction à un FAI de fournir à ses clients l’accès à un site diffusant des films sans autorisation est valide

Internet et technologies de l'information

Une entreprise allemande et une entreprise autrichienne détenant les droits de films, se sont aperçues que ceux-ci pouvaient, sans leur consentement, être visionnés, voire téléchargés, à partir du site internet « kino.to ».

Sur demande de ces deux entreprises, les tribunaux autrichiens ont interdit à un fournisseur d’accès à Internet, établi en Autriche, de fournir à ses clients l’accès à ce site.

Le fournisseur d’accès considère qu’une telle injonction ne peut pas lui être adressée. En effet, à l’époque des faits, il n’entretenait aucune relation commerciale avec les exploitants de « kino.to ». De plus, il n’aurait jamais été établi que ses propres clients aient agi de manière illégale. Par ailleurs, le fournisseur d’accès soutient que les différentes mesures de blocage susceptibles d’être mises en œuvre pouvaient, en tout état de cause, être techniquement contournées. Enfin, il estime que certaines des mesures seraient excessivement coûteuses.

Saisie du litige en dernier ressort, la Cour suprême autrichienne demande à la Cour de Justice de l’Union européenne d’interpréter la directive sur les droits d’auteurs ainsi que les droits fondamentaux reconnus par le droit de l’Union.
La directive prévoit la possibilité, pour les titulaires de droits, de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à leurs droits. Le fournisseur considère qu’il ne peut être qualifié d’intermédiaire en ce sens.

Par son arrêt du 27 mars 2014, la CJUE répond qu’une personne qui met à disposition du public, sur un site Internet, des objets protégés, sans l’accord du titulaire de droits, utilise les services de l’entreprise qui fournit l’accès à Internet aux personnes consultant ces objets. Ainsi, un fournisseur qui permet à ses clients d’accéder à des objets protégés mis à la disposition du public sur Internet par un tiers est un intermédiaire dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit d’auteur.

La Cour souligne, que la directive n’exige pas une relation particulière entre la personne qui porte atteinte au droit d’auteur et l’intermédiaire à l’encontre duquel une injonction est susceptible d’être prononcée. Il n’est pas non plus nécessaire d’établir que les clients du fournisseur d’accès consultent effectivement les objets protégés accessibles sur le site Internet du tiers, car la directive exige que les mesures que les Etats membres ont l’obligation de prendre aient pour objectif de prévenir les atteintes portées au droit d’auteur ou aux droits voisins.

La Cour autrichienne cherche également à savoir si les droits fondamentaux s’opposent à ce qu’un juge national interdise à un fournisseur d’accès, par voie d’injonction, d’accorder à ses clients l’accès à un site Internet de ce type, lorsque les mesures à prendre ne sont pas précisées. Elle demande également si le fournisseur peut échapper aux astreintes en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables.

À cet égard, la CJUE relève que dans le cadre d’une telle injonction les droits d’auteur et les droits voisins entrent principalement en conflit avec la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs économiques ainsi qu’avec la liberté d’information des utilisateurs d’Internet. Or, lorsque plusieurs droits fondamentaux sont en conflit, il incombe aux Etats membres de veiller assurer un juste équilibre entre ces droits.

S’agissant plus spécifiquement du droit à la liberté d’entreprise du fournisseur d’accès à Internet, la CJUE estime que l’injonction n’apparaît pas porter atteinte à la substance même de ce droit car elle laisse à son destinataire la détermination des mesures à prendre. En outre, elle lui permet de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant que toutes les mesures raisonnables ont été prises.

La Cour estime dès lors que les droits fondamentaux concernés ne s’opposent pas à une telle injonction, à la double condition que cela ne prive pas inutilement les utilisateurs de la possibilité d’accéder de façon licite aux informations disponibles et que cela empêche ou dissuade les consultations non autorisées des objets protégés.

La Cour précise, enfin, que les internautes et le fournisseur d’accès doivent pouvoir faire valoir leurs droits devant le juge. Il appartient alors aux autorités et juridictions nationales de vérifier si ces conditions sont remplies.

04/04/2014