À la suite de la divulgation d’un rapport faisant état des problèmes portant sur la protection des minorités en Turquie, qui a ensuite été décrié par les journaux ainsi que leurs auteurs, deux professeurs d’universités, estimant que les articles contenaient des insultes, des menaces et des discours de haine à leur encontre, ont intenté quatre actions en dommages et intérêts contre les auteurs et les sociétés propriétaires des quotidiens. Les juridictions turques les ont débouté.
Dans un arrêt du 30 octobre 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme note tout d’abord que les articles litigieux ont été publiés dans un contexte de débat public agité sur les propositions que présentait le rapport relativement à une protection efficace des droits des minorités en Turquie. Il s’agissait d’un sujet délicat susceptible de provoquer des inquiétudes sur la structure unitaire de la nation et de l’Etat turcs dans les milieux nationalistes. Les déclarations et les articles de presse critiquant les requérants s’inscrivaient donc dans le contexte d’une campagne réactionnaire menée par ces milieux contre le rapport et les principaux auteurs de celui-ci, les requérants. Ces derniers avaient en fait exercé leur liberté d’expression par le biais de ce rapport en y présentant leur point de vue sur le statut et la place des minorités dans une société démocratique sans toutefois employer des termes dénigrants ou insultants contre les tenants d’une perspective différente à ce propos.
Elle estime ensuite que les attaques verbales et les menaces physiques, proférées dans ce contexte à l’encontre des requérants dans les articles litigieux, visaient à réprimer leur personnalité intellectuelle, en leur inspirant des sentiments de peur, d’angoisse et de vulnérabilité propres à les humilier et à briser leur volonté de défendre leurs idées.
Toutefois, les juridictions internes, sans procéder à une qualification explicite des articles litigieux (déclaration de fait, jugement de valeur ou encore discours haineux ou violent), ont conclu qu’ils ne visaient pas directement les requérants et qu’ils ne contenaient pas d’attaques gratuites contre eux.
Elles ont aussi estimé que les requérants devaient tolérer les critiques sévères émises contre eux, d’une part, en raison de leur statut et, d’autre part, en raison des critiques qu’ils avaient eux-mêmes faites dans le rapport contre leurs adversaires idéologiques.
Elles ont enfin jugé que ces articles relevaient des dispositions protégeant la liberté d’expression de leurs auteurs, et n’ont porté aucune attention particulière aux expressions menaçantes et violentes contenues dans les articles litigieux.
Pour la cour, les juridictions internes n’ont pas effectué une mise en balance adéquate entre le droit des requérants au respect de leur vie privée et la liberté de la presse. Ainsi, leurs jugements n’apportent pas de réponse satisfaisante à la question de savoir si la liberté de la presse pouvait justifier, dans les circonstances de l’espèce, l’atteinte portée au droit des requérants au respect de leur vie privée par des passages de nature à constituer un discours de haine et un appel à la violence, et susceptibles ainsi de livrer les intéressés à la vindicte publique.
Par conséquent, la cour conclut que les juridictions nationales n’ont pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérants au respect de leur vie privée et la liberté de la presse. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.