Dans lémission « Envoyé spécial » diffusée le 13 octobre 2016 sur France 2, un reportage intitulé « Sérieusement ?! Lactalis : le beurre et largent du beurre » était consacré à la crise de la production laitière.
Soutenant quune séquence de ce reportage faisait mention du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes, et invoquant latteinte portée à sa vie privée, le président du conseil de surveillance de la société Lactalis a assignée la société France télévisions, sur le fondement des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de lHomme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, aux fins dobtenir réparation de son préjudice, ainsi que des mesures dinterdiction et de publication judiciaire.
La cour d’appel d’Angers a rejeté ses demandes.
Après avoir retenu que les indications fournies dans la séquence litigieuse, qui permettaient une localisation exacte du domicile de l’intéressé, caractérisaient une atteinte à sa vie privée, les juges du fond ont relevé, dabord, que le reportage en cause évoquait, notamment, la mobilisation des producteurs laitiers contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des prix trop bas, et comparait la situation financière de ces producteurs à celle du dirigeant du premier groupe laitier mondial.
Ils ont ajouté que lintégralité du patrimoine immobilier de l’industriel n’était pas détaillée, les informations délivrées portant exclusivement sur le bien que ce dernier possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans le reportage, de sorte que ces informations sinscrivaient dans le débat dintérêt général abordé par lémission.
Ils ont ensuite énoncé que le demandeur, en sa qualité de dirigeant du groupe Lactalis, est un personnage public et que, bien que le nom et la localisation de sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués dans la presse écrite, il navait pas, par le passé, protesté contre la diffusion de ces informations.
Les juges ont constaté, enfin, que la vue densemble de la propriété de l’intéressé pouvait être visionnée grâce au service de cartographie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage incriminé, le journaliste navait pas pénétré sur cette propriété privée.
Dans un arrêt rendu le 10 octobre 2019, la Cour de cassation considère que la cour dappel, qui a ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en oeuvre pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté dexpression, a légalement justifié sa décision de retenir que latteinte portée à la vie privée du demandeur était légitimée par le droit à linformation du public.
La Haute juridiction judiciaire rappelle en effet que le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté dexpression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de lintérêt le plus légitime.
Elle ajoute que pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat dintérêt général, la notoriété de la personne visée, lobjet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies. Il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à lexamen de chacun de ces critères.