Par jugement du 4 avril 2013, le tribunal correctionnel a condamné un commerçant du chef de contrefaçon en bande organisée au préjudice du conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP), pour avoir mis en vente et vendu des matelas présentés sous une marque contrefaite, à savoir la croix verte et le caducée pharmaceutique, et a condamné le prévenu à verser à la partie civile la somme de 1.500 au titre de son préjudice moral. Le CNOP a formé appel des dispositions civiles de cette décision.
La cour d’appel de Bordeaux a infirmé le jugement et condamné le demandeur à payer au CNOP la somme totale de 45.000 à titre de dommages-intérêts.
Les juges du fond ont énoncé qu’afin de réparer le préjudice subi par le CNOP, il convenait en premier lieu d’appliquer l’alinéa 1 de l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle (CPI).
Ils ont estimé que le manque à gagner n’était pas constitué en l’espèce dans la mesure où le CNOP n’établissait pas, ni même n’alléguait, qu’il vendait lui aussi des articles de literie et notamment des matelas et que les actes illicites commis notamment par le prévenu auraient eu une incidence sur ses propres profits. En ce qui concerne les profits réalisés par les contrefacteurs, l’ordre national des pharmaciens se borne à indiquer le montant du chiffre d’affaires de la société France Manufacture en 2009, ce seul élément ne permettant pas de connaître, même de manière approximative, le bénéfice réalisé par celle-ci.
En revanche, les juges ont considéré que le préjudice moral était avéré, puisque la vente, selon le procédé dit « à la postiche », de matelas de mauvaise qualité, en se prévalant des marques dont le CNOP est titulaire, avait entraîné une banalisation et une importante dépréciation de ces marques associées par le public à la qualité des produits vendus en pharmacie et à la fiabilité des conseils prodigués par les pharmaciens, si bien que la somme allouée à l’appelante en réparation de ce dommage moral devait être réévaluée à 35.000 , incluant la réparation de l’atteinte à l’image de ses marques.
Les juges ont ajouté que la croix verte et le caducée pharmaceutique, étant des marques connues dans toute la France et immédiatement associées dans l’esprit du public aux officines de pharmacies dont elles sont les emblèmes, sont des marques renommées qui, à ce titre, bénéficient de la protection élargie prévue à l’article L. 713-5 du CPI et que leur exploitation sans droit avait porté atteinte au caractère distinctif de ces marques et à leur renom, causant à l’ordre national des pharmaciens un préjudice spécifique qui doit être réparé par l’allocation de la somme de 10.000 .
La Cour de cassation censure ce raisonnement au visa des articles L. 716-14, alinéa 1, du CPI, dans sa version issue de la loi du 29 octobre 2007 et 1240 du code civil.
Elle rappelle, dans un arrêt du 26 juin 2019, que selon ces textes, le préjudice résultant du délit de contrefaçon doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties, en prenant en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte.
Elle conclut que la cour d’appel a commis une erreur de droit en statuant ainsi alors que d’une part, la responsabilité du prévenu, condamné du chef de contrefaçon aggravée au préjudice du CNOP, ayant été reconnue, l’article L. 716-14 du CPI était seul applicable pour fixer les dommages-intérêts dus à la partie civile, d’autre part la dépréciation et la banalisation de la marque constituent des préjudices résultant de l’atteinte portée à sa renommée et à son caractère distinctif et ne peuvent être indemnisés deux fois.