Une société de droit britannique, spécialisée dans la conception et la fabrication d’engins de travaux publics ou agricoles, a confié à deux conseils en propriété industrielle (CPI) la réalisation de tests sur une machine suspectée de contrefaçon. S’appuyant sur le rapport d’expertise privée qu’ils ont déposé, décrivant les caractéristiques du matériel examiné, elle a assigné le fabricant français du modèle litigieux en contrefaçon de certaines revendications de deux brevets européens dont elle est titulaire. Elle a obtenu, sur requête, une ordonnance l’autorisant à faire pratiquer, par un huissier assisté des mêmes CPI désignés comme experts, une saisie-contrefaçon portant sur le modèle examiné, dans les locaux de cette société.
La société française a formé une demande de rétractation de cette ordonnance.
La cour d’appel de Paris a rétracté l’ordonnance et ordonné l’annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon, la restitution des éléments saisis, la destruction immédiate par la société britannique du procès-verbal de saisie-contrefaçon et de l’ensemble des copies des éléments saisis. Elle a en outre interdit à cette société d’utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l’étranger, le PV de saisie-contrefaçon, ainsi que les éléments saisis.
Pour ce faire, les juges du fond ont relevé que deux personnes avaient été désignées à deux reprises dans le même litige en contrefaçon opposant ces deux sociétés, d’abord pour procéder, à la demande de la société britannique, à des tests sur un véhicule qui ont donné lieu au dépôt d’un rapport d’expertise privée décrivant les caractéristiques du matériel examiné, puis, par ordonnance les désignant comme « experts judiciaires », pour assister l’huissier instrumentaire au cours des opérations de saisie-contrefaçon portant notamment sur le matériel examiné au cours de l’expertise privée.
Ils ont retenu qu’à l’évidence, des CPI ne pouvaient, sans qu’il soit nécessairement porté atteinte au principe d’impartialité exigé par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, être désignés comme experts par l’autorité judiciaire alors qu’ils étaient antérieurement intervenus comme experts pour le compte de l’une des parties dans la même affaire relative à des faits de contrefaçon de brevet portant sur le même matériel.
Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation.
Dans un arrêt du 27 mars 2019, elle précise en effet que « le fait que le CPI de la partie saisissante ait, à l’initiative de celle-ci, établi un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé ne fait pas obstacle à sa désignation ultérieure, sur la demande du saisissant, en qualité d’expert pour assister l’huissier dans le cadre d’une saisie-contrefaçon de brevet, sa mission n’étant pas soumise au devoir d’impartialité et ne constituant pas une expertise au sens des articles 232 et suivants du code de procédure civile. »
Dès lors, en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 6, § 1, de la Convention EDH, ensemble l’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle.