Une société lituanienne fabriquant des vêtements a mené une campagne de publicité avec des photographies de deux mannequins, l’un masculin, l’autre féminin, chacun avec une auréole, lhomme étant tatoué et vêtu dun jean et la femme portant une robe blanche et un collier de perles. Les publicités comportaient en légende les mots suivants : « Jésus, quels pantalons ! », « Chère Marie, quelle robe ! » et « Jésus [et] Marie, ce que vous portez ! ».
A la suite de plaintes à lencontre de ces publicités, lAutorité nationale de protection des droits des consommateurs, estimant que les publicités étaient contraires à la morale publique et donc enfreignaient la loi sur la publicité, a infligé à la société une amende de 2.000 litai lituaniens (soit environ 580 ). Elle a retenu que « la représentation inappropriée du Christ et de Marie dans les publicités en question encourage une attitude frivole à légard des valeurs éthiques de la foi chrétienne, [et] promeut un style de vie incompatible avec les principes dune personne religieuse ». Elle a conclu que « le respect de la religion est sans aucun doute une valeur morale. Par conséquent, lirrespect envers la religion porte atteinte à la morale publique ».
La cour administrative régionale a rejeté le recours de la société, de même que la Cour administrative suprême, laquelle a jugé que « les symboles à caractère religieux occupent une place importante dans le système des valeurs spirituelles des individus et de la société, et leur utilisation inappropriée les dévalorise [et] est contraire aux normes morales et éthiques universellement acceptées ».
Invoquant larticle 10 § 1 de la Convention EDH (droit à la liberté dexpression), la société a fait valoir devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) que lamende qui lui avait été infligée pour atteinte à la morale publique ne pouvait être considérée comme nécessaire dans une société démocratique.
Dans son arrêt rendu le 30 janvier 2018, la CEDH exprime tout d’abord des doutes quant au point de savoir si la société requérante aurait pu prévoir que la disposition de la loi sur la publicité interdisant la publicité « contraire à la morale publique » sappliquerait aux publicités en cause en lespèce, dautant plus que cette loi a été modifiée ultérieurement dans le but de prohiber explicitement la publicité « exprimant un mépris des symboles religieux ».
Constatant que les publicités litigieuses nétaient apparemment pas gratuitement offensantes ou blasphématoires et quelles nincitaient pas à la haine fondée sur la religion, la Cour souligne lobligation des tribunaux internes et des autres autorités dénoncer des motifs pertinents et suffisants qui expliquent pourquoi le message exprimé par ces publicités serait quand même contraire à la morale publique.
La CEDH relève également que lAutorité nationale de protection des droits des consommateurs a considéré que les publicités en cause promouvaient « un style de vie incompatible avec les principes dune personne religieuse », mais na pas précisé en quoi consistait ce style de vie ni comment ces publicités en faisaient la promotion. LAutorité na pas non plus expliqué pourquoi un style de vie « incompatible avec les principes dune personne religieuse » serait nécessairement contraire à la morale publique.
Enfin, la Cour rappelle que la liberté dexpression sétend aux idées qui heurtent, choquent ou inquiètent.
Elle conclut ainsi à la violation de larticle 10, les autorités nationales nayant pas ménagé un juste équilibre entre, dune part, la protection de la morale publique et des droits des personnes religieuses, et, dautre part, le droit de la société requérante à la liberté dexpression.